Femmes et thérapie

(Je précise que cet article fait état de situations de femmes majoritairement dans un modèle social et familial hétéronormé)

Ce n’est un secret pour personne : les femmes ont plus de facilité à commencer une psychothérapie que les hommes.
La raison principale est totalement culturelle.
Nous élevons les petites filles en mettant l’accent sur les émotions, le soin, l’écoute et l’empathie quand nous stimulons les garçons à l’action, la recherche de solution brute et le prestige.
Cela soulève d’ailleurs une autre question quand il s’agit de rencontres et de relations amoureuses (mais c’est une autre histoire que je reprendrai ailleurs).
De fait, les filles continuent de développer l’expression émotionnelle, le partage autour des ressentis.
Plus grandes, elles se confient à leurs amies, lesquelles leur feront des retours sur le même thème.
Devenues adultes, la démarche de « soins psy » est plus aisée (même si elle nécessite un procédé parfois anxiogène).
Commence alors un travail de réflexion qui allie émotions, recul et progressions vers soi-même.
Ce qui est le centre même de la psychothérapie.

Mais il serait plus honnête de ma part de noter que des sujets précis reviennent beaucoup, voire majoritairement dans les problématiques féminines
Et, de le partager ici serait aussi l’occasion de rassurer beaucoup de femmes quant à la place de ces mêmes sujets dans leurs quotidiens

1- La fatigue : symptôme d’une charge mentale impossible ?

Je débute toutes mes consultations par un « comment allez-vous ? » en appuyant sur le « comment ».
Toutes et tous mes patient.e.s connaissent le rituel et savent que je ne me contenterai pas des banalités sociales échangées quotidiennement.
Ils et elles vont rechercher ce qui se ressent en elles et eux pour y répondre.
Et, immanquablement, les femmes (mères la plupart du temps) précisent qu’elles sont fatiguées.
Puis passent rapidement sur cet état général pour préciser ensuite leurs ressentis.
Pourtant, cette fatigue s’inscrit totalement dans ce ressenti.
Et, quand je les invite à m’expliquer les raisons de leur fatigue, parce qu’en confiance, elles me déroulent les mille contrariétés gérées, accomplies, accompagnées, portées etc. au cours du jour voire de la nuit.

 

Si je devais imaginer faire un parallèle avec la jauge des personnages des Sims placée au-dessus de leurs têtes, je les constaterai vides et clignotant désespérément…
Parce que le burn-out maternel existe, je m’en inquiète à chaque fois et nous essayons alors de trouver de nouvelles ressources soit pour s’alléger soit pour déléguer.
Et, immanquablement, j’entends les mêmes choses…
« La nuit, ma fille/mon fils était malade et a beaucoup pleuré. Je me suis levée plusieurs fois. Ma nuit n’a pas été reposante.
– Et votre mari/compagnon ?
– Il ne l’a pas entendu.e. Ce matin, il m’a dit de le secouer pour qu’il y aille la prochaine fois… ».

« Mon fils/ma fille/ mes enfants avai.en.t des courses/ un pique-nique/ une sortie / un rdv médical etc. J’ai dû courir toute la journée pour tout faire.
– Et votre mari / compagnon ?
– Il veut bien m’aider si je lui dis quoi faire mais il oublie »

Je compte les exemples par centaines. Les mêmes centaines qui se cumulent les unes aux autres.
Et, je reçois des femmes qui assument à la fois ces mille petites choses, qui, bout à bout, les écrasent littéralement en plus de leur emploi (qu’elles assurent le plus souvent sur des temps partiels pour reposer le reste de la famille… enfin, le couple sauf elle…).
La charge mentale est un fait réel.
En moyenne, les femmes consacrent 3h26 par jour aux tâches domestiques (ménage, courses, soins aux enfants, etc.) contre 2h pour les hommes, selon l’Insee.
Les femmes passent deux fois plus de temps que les hommes à faire le ménage et à s’occuper des enfants. Et plus la différence de salaires est importante, plus cet écart se rallonge.

Une partie du travail thérapeutique va porter sur la prise de conscience de cette charge mentale mais aussi sur la déconstruction à aborder concernant des mythes comme celui de la mère parfaite, de la fée du logis parfaite, de l’épouse parfaite
Toute cette perfection qui détruit autant son image de soi que son droit à avoir des temps libres, vides ou pour soi.
Cette déconstruction va concerner aussi le couple et une réappropriation des contraintes domestiques et éducatives.
Un homme « n’aide pas » une femme. Il participe à la vie commune, décidée ensemble et donc à gérer et porter ensemble.

Si cela semble une évidence à la lecture de ces mots, essayez d’évaluer vos propres temps d’investissement domestiques et parentaux puis de mesurer les temps que vous vous consacrez…
Je ne saurai que trop vous conseiller la BD d’Emma à ce sujet.
Une véritable pépite qui aide à la prise de conscience.

2- Le couple : une nouvelle charge ?

Comme décrit ci-dessus, la femme a tendance à porter la charge mentale de la maison.
Des millénaires de valeurs patriarcales qui ont enfermé les femmes dans une vision de soins aux autres, aux arts décoratifs et à un statut de soutien parce qu’épouse.
Les « femmes de… » devenant une partie des possessions de l’homme restent une image encore ancrées dans le conscient collectif.
L’éducation (genrée) y est pour beaucoup.

Mais au-delà des différentes obligations ménagères, beaucoup de femmes consultent au sujet de leur couple. Voire pour accompagner leur mari / compagnon à distance.

Combien ai-je vu commencer et assumer tout un travail thérapeutique pour « aider » Monsieur à mieux communiquer ou à « l’accepter » malgré la souffrance que cela provoquait ?
Je ne parle pas de toutes celles qui ont bien constaté que le couple lui-même est en péril et qui viennent me voir dans l’espoir de le sauver.
Hélas, trop d’entre elles me répondent placidement un « il ne veut pas » quand je suggère que ce travail ne sera efficace qu’à deux…
J’ai remarqué aussi un très grand nombre de femmes qui non seulement assument la thérapie en prenant sur leur temps libre et leur argent mais qui y prennent plus de 50% de ces mêmes séances (et le financement qui va avec) pour comprendre, chercher des solutions, apaiser la situation du couple.
Que fait monsieur de son côté ?…

De fait, ces femmes qui ont baigné dans un environnement social où il leur a été répété qu’elles, elles savaient reconnaître leurs émotions, prendre soin des autres, deviennent les garantes du bon fonctionnement du couple.

A la charge mentale quotidienne vient s’ajouter une charge émotionnelle pour deux.
Sans le savoir (et le vouloir), la santé de ce couple repose beaucoup sur ses épaules.

C’est d’ailleurs par elle que viennent les sujets délicats (souvent ponctués du fameux « t’es chiante » masculin).
Sujets pourtant sans lesquels il n’y a pas de décisions communes possibles (ce qui rajoute à la charge mentale).
Beaucoup de ces mêmes femmes se culpabilisent de ne pas réussir à maintenir une relation de qualité (qu’elles comparent avec les débuts et/ou un couple imaginaire).
J’entends aussi souvent des maux douloureux autour des prises de décisions. Certains compagnons clôturent les questions de logistique par un « comme tu veux ».
Et là où cela peut sembler facilitant, ce n’est ni plus ni moins qu’un défaussement sur l’autre et un ajout de charge.

Pour toutes ces femmes et ces situations, il sera nécessaire de déplacer les problématiques du couple vers le Moi.
D’une part en se réappropriant son droit à ne pas faire et ensuite de remettre le couple dans sa structure même : 2 adultes coresponsables de sa bonne santé.

3- La famille : Maman, un pilier pour toutes et tous ?

Vous l’avez compris, beaucoup de femmes portent des charges qui se cumulent les unes aux autres.
La famille est sans conteste une des plus lourdes.
Je reçois de plus en plus de femmes écrasées par le poids des responsabilités dues aux horaires, exigences, attentes de sa famille.
Et étrangement, pas seulement de ses enfants.
Mais commençons pas cela.
Le mythe de la mère parfaite a fait beaucoup de mal.
La culpabilité de ne pas être (assez) présente, faire une cuisine maison équilibrée, écoresponsable, avoir des échanges permanents et individuellement, accompagner toutes les sessions sportives, soutenir la scolarité etc. etc. (la liste n’en finit pas).

 

Cette culpabilité est, elle aussi, particulièrement alimentée par des croyances familiales, sociales et culturelles où la mère tient le pavé du sacrifice, du soin absolu.
Et cette croyance est elle-même alimentée par celle qui construit un modèle féminin où le soin (care) serait « naturel » voire génétique…

Dans  l’étude en psychologie très pertinente « a Different Voice : Psychological Theory and Women’s Development », Carol Gilligan y affirme qu’il y a des différences psychologiques et morales entre hommes et femmes (On peut retrouver ses recherches en français dans  « La morale a t’elle un sexe ? »)

Les premiers pensent en termes de lois et de justice et les secondes en termes de relations humaines et de « caring ». Selon Gilligan, les femmes ne privilégient pas l’autoréalisation, leur propre autonomie, leur propre carrière, leur propre destin. Elles sont d’emblée engagées dans une relation à autrui, dans laquelle elles se sentent responsables de l’autre, sentiment qui prend le pas chez elles sur tout intérêt égocentré.

Dès l’enfance, selon Carol Gilligan, se préoccuper de l’autre avant de se préoccuper de soi-même représenterait pour la fille le summum de la relation entre personnes.

Ce poids de la responsabilité allié à la culpabilité est associé, en prime, avec celui de la vie professionnelle.
Longtemps, les horaires de sorties d’école primaire et de maternelle s’appelait « l’heure des mamans ». En cas de maladie et d’accident au cours d’une journée d’école,

c’est vers la mère qu’on se tourne (je me rappelle encore cette femme encore très secouée par l’accident de son fils à l’école qui avait dû rentrer en urgence d’un déplacement professionnel vital pour sa carrière. Lorsque je lui avais demandé pourquoi l’école n’avait pas contacté le père de son enfant, elle m’a simplement répondu « parce qu’il travaille ». Le pire, elle ne l’avait pas fait non plus !).

Je note que les femmes gèrent les calendriers scolaires, les mille rdv médicaux, les sacs, les pique-nique, les anniversaires des copains et copines (et les cadeaux à y apporter).
Elles gèrent aussi les plannings familiaux : vacances, week-ends, invitations, logistiques.
Une de mes patientes avait fini par exploser après des années à entendre son mari inviter à tour de bras tous les week-ends « parce que, tu comprends, nous, on a une grande maison ».
Il recevait ses ami.e.s tel un grand seigneur pendant que sa femme prenait en charge les courses, les repas, le ménage. Et tout ce petit monde la congratulait chaleureusement car « elle avait la chance d’avoir un mari si sociable »…
Pas de place pour la plainte, pas de place pour l’ombre… Mais épuisement garanti !
Elle a fini par le quitter d’ailleurs… Ces fameux amis lui en veulent beaucoup…

Je vois aussi de nombreuses femmes qui assurent aussi le lien avec la famille élargie.
Je suis d’autant plus étonnée quand je constate que c’est aussi par elles que le lien est maintenu entre son mari/compagnon et la famille de celui-ci !
Une autre de mes patientes organisait les fêtes de Noël dans la famille de son partenaire et devait même s’assurait que ce denier n’oubliait rien de transmettre si des fois un des membres de la famille échangeait avec lui…
Quand je la questionnai sur cette façon de procéder, elle me répondit « c’est parce qu’il oublie »… (Pratique, non ?).

 

4- La sexualité : une charge lourde et sensible…

De nombreux couples en thérapie abordent la question de l’intime.
Il est rare qu’un couple en souffrance ne soit pas en difficultés dans sa sexualité.
Et d’autres couples connaissent ces mêmes difficultés depuis longtemps.
Ce qui est marquant dans le temps et l’évolution de nos sociétés c’est que le sexuel est omniprésent (voire omnipotent) et qu’il porte avec lui, grâce à la libéralisation des partages et de l’information, son lot de nouvelles croyances.

En effet, la place du sexuel d’abord intime est devenu publique.
Outre les sex-tapes qui rendent nos stars et de parfait.e.s inconnu.e.s des partenaires sexuel.les temporaires, les médias et réseaux sociaux regorgent de sites, conseils pour devenir un être sexuel affirmé et de qualité.

Une nouvelle injonction de la sexualité épanouie est née avec la libération des mœurs.
En soit, c’était et c’est une excellente chose puisque, grâce à elle, les femmes ont pu s’approprier le fonctionnement de leur corps et de leur jouissance.
Mais avec, est apparue l’injonction nouvelle de savoir s’en servir et de la partager à bon escient pour jouir !
A cela s’ajoute le constat sans appel amplement nourri par une croyance sociale bien destructrice : les hommes auraient plus de « besoins » que les femmes.
Il devient donc essentiel pour les femmes de savoir y répondre, voire de s’y associer en prenant du plaisir.
A charge à elles de travailler la question, de résoudre leurs problématiques et de devenir un objet sexuel de qualité.
A un moment historique où le clitoris et son fonctionnement sortent à peine de l’armoire, il faudrait rapidement rattraper des millénaires de silences sexuels…
Et donc, en thérapie comme dans la vie en général, la conclusion (rapide) qui est faite lorsque le couple ne partage pas une sexualité qualitative est sans appel : « c’est de la faute de Madame, elle n’en a pas envie (alors que moi, Monsieur, toujours) ».

Je vois des femmes écrasées à nouveau par une nouvelle culpabilité mathématique :
« Nous sommes 2. Il a envie. Moi non. 2 – 1 = 1. C’est donc moi le problème. Si notre couple n’a pas de sexualité, c’est de ma faute ».
C’est un sujet central dans le bien-être de beaucoup de couples car associé à la complicité de ces derniers.
Il sera alors important de défaire les croyances de la responsabilité unique en thérapie. Comprendre aussi que le bien-être sexuel du couple ne repose pas uniquement sur la femme, que les rapports sexuels ne se résument pas à des pratiques simplistes et que cela se construit et évolue !
C’est aussi un moment phare pour interroger la construction, ses évolutions et l’état global de sa sexualité.
Mais c’est avant tout un moment clé pour revenir sur la sexualité féminine et mettre un terme aux ancrages représentatifs « sexe = facile = couple ».

5- Droits et devoirs : une liberté de choix tronquée… ?

Emma et sa BD sur la charge mentale a provoqué un vrai tsunami.
Une femme y révélait ce que toutes les autres vivent.
Mais si je rajoute la charge des enfants, la charge émotionnelle du couple, la charge de la famille élargie et celle du tissu social puis la charge sexuelle en plus de la charge professionnelle, j’imagine aisément le poids subi, la souffrance ressentie et la perte de forces pour tout affronter / porter !

J’évoquais plus haut le poids de la charge familiale et ses impacts négatifs largement alimentés par des croyances où mère rime avec sacrifices.
Le débat qui a suivi les périodes du COVID et du rôle des soignant.e.s majoritairement féminines a levé une question sociale fondamentale : la femme est-elle véritablement « conçue » pour prendre soin des autres ?

Beaucoup de femmes m’expriment avec douleurs le poids de leur vie et la culpabilité de ne pouvoir y faire face.

Il est essentiel pour elle de prendre conscience des différentes charges, de leurs impacts dans leurs quotidiens et de la nécessité et de les repenser et de s’en défaire.
On va alors travailler sur la gestion du temps, des fameuses to-do listes, sur leurs rapports au « devoir faire » et comment elles ont construit leur image d’elles-mêmes comme femme de la maison…
La place du partenaire, du partage, de la différence seront autant de sujets à intégrer pour arriver à un épanouissement personnel et professionnel.

Mesdames, pour se libérer de ses souffrances, commencez par prendre conscience de vos chaînes…